Acanthà, modificatrice (10%)

••• Acanthà. L. B l u b e r r y
Il y a l'amour. Et puis il y a la vie, son contraire ;

P r o l o g u e;

« Personnage(s) : Acantà, l'éprouvée »

» Age ; Vingt-deux ans.
L'âge du passage. De la jeunesse au profit de l'adulte. Si imperceptiblement qu'on en pourrait douter. Acanthà, une adulte ? Déjà, si vite ? Elle est si jeune pourtant, face au monde qui l'entoure. Ne le niez pas. Je le vois dans votre regard. Tous autant que vous êtes, vous la considérez comme une enfant. Peut-être n'avez vous pas tort. Ou peut-être que si. La jeune femme elle-même n'a pas encore tranché. Et elle n'en a aucune envie. Réfléchissez un instant. Vous avez la possibilité d'apparaître fragile aux yeux des créatures les plus aimables. Et pourtant vos traits sont déjà fermes aux yeux de vos compagnons. Admirable ambiguïté, sans laquelle elle ne serait peut-être pas grand chose. Vingt-deux ans. Vous vous contenterez donc de cela.
» Lieu & date de naissance ; Ici même il y a vingt-deux ans.
» Date de mort ; Voilà quelque chose qui lui est bien étranger..
» Date de renaissance ; Vous n'avez pas affaire à une créature ressuscitée hein !
» Métier exercé ; Photographe.
» Don ; Empathie. Virant à la malédiction.

Acanthà, c'est la fine blonde qui est assise là-bas. Elle regarde droit devant elle, et elle pense. Elle pense qu'elle va bientôt se lever, et devenir cette fille aux yeux de chats. Bientôt elle va devoir se confronter au monde, et elle sait que ce monde peut lui faire du mal. Dès qu'elle fera un pas sur scène, elle souffrira. Elle regarde droit devant elle, et elle pense. Elle pense à cette douleur. Elle y pense si fort qu'elle pourrait presque la sentir au creux de son ventre. Un marteau qui taperait sans fin sur son ventre. Oui, elle va se lever, et supporter le poids du monde sur ces épaules. Dans sa carapace blanche et fragile, elle devra affronter un univers qui lui est différent. Elle le sait, et elle est prête. Meadow attend. Les rideaux vont s'ouvrir.

Elle s'est faite belle. Elle n'a pas pu s'empêcher de se faire belle. La poudre, le rouge. Trop pratique pour ne pas être utilisés. Et puis elle a souri devant son miroir, pour voir. Souri de toutes ses dents. Trente-deux morceaux blancs. Trompeurs, hypocrites. On dirait qu'elle est heureuse. On dirait qu'elle est fière. Qu'elle ne peut rêver mieux. Elle s'est assise devant son miroir, se demandant comment sourire. Et puis elle a pensé. Pensé que peut-être, un jour, avant, le monde n'était pas en crise. Peut-être, qu'un jour, après, la paix existera. Alors elle s'est allongé, et elle a souri. Au fond, c'était sûrement un vrai sourire. Pas de ceux qu'on voit dans des publicités. Non. De ceux qu'on voit sur les visages qui ont grandi trop vite.

Elle est là, assise. Personne ne croise son regard de chat. Un chat de gouttière. Tigré, renfermé. Agile. Elle contient une souplesse mesurée. Une violence dont elle va avoir besoin. Elle regarde droit devant elle, et elle pense. Elle pense que toute cette violence au fond d'elle se libèrera bientôt. Elle ne voit pas les gens autour d'elle, mais elle sait que c'est sur eux que va se déverser ce torrent de violence. Elle va se lever, et elle n'aura qu'à les regarder. Meadow. Son sourire s'est figé sur ses lèvres, et semble plus classique, plus naïf aussi. Un masque. Ca y est, elle l'a enfilé. Ce masque. Un masque de chat. Un sourire vermeille peint sur une peau de nacre. Deux trous pour ses yeux. Élément vivant. Brûlant. Perçant. Un regard de femme agréable et différente. Acanthà cache son corps d'enfant. Ses brûlures d'enfants. Un déguisement. Bientôt elle se lèvera. Bientôt elle pourra les affronter.

Acanthà, les rideaux vont bientôt s'ouvrir devant elle. Petite. Elle n'a pas l'envergure des héroïnes. Elle traîne une pauvre carcasse, sur des décors en bois. Un masque dans le monde. Un masque qui doit lui donner des forces. La force de vaincre. Meadow connaît son rôle, elle se l'est forgé elle-même. Le monde, elle ne le connaît plus. Il est dangereux. Humaine, a-t-elle seulement un rôle à jouer ? Oui. Et non. Le paradoxe est son rôle. Prête à donner sa vie. Ce n'est rien. Et c'est tout à la fois. Elle est assise, et peu importe qu'une balle l'atteigne en plein coeur. En attendant, elle va agir. Lève-toi. Trois coups vont résonner. Les voilà, ils frappent ton coeur. Au premier coup tu te lèves. Au deuxième tu te retournes. Au troisième tu devras ouvrir les yeux.

Elle fait un signe. Non, pas maintenant. Pas le troisième coup. Pas tout de suite. D'abord, assurer son regard. Soutenir sa démarche. Vérifier son masque. Un chat. Elle vous regarde maintenant, et discerne en vous sa future puissance. Vous tenez à votre vie. Pas elle. La puissance, l'orgueil et l'estime. Vous en avez besoin, ils vous font vivre. Tout le monde en a besoin. Pas elle. La gaïeté, l'insouciance et l'éphémère sont des armes plus dangereuses que ce que vous semblez penser. Une enfant ? Une adulte ? Peu importe. Une vie à perdre. Une vie combattante.


Elle le sait, et elle est prête. Acanthà attend. Les rideaux s'ouvrent.

Une petite salle à manger. La lumière du matin entre par les fenêtres. Deux femmes sont attablés, devant ce qui ressemble à un petit-déjeuner. Repas qui touche à sa fin, quelques ingrédients traînent encore par-ci par-là. Un poste de radio grésille dans un coin, Acanthà va le couper. Le calme se fait. Seul le ronronnement du vieux micro-ondes subsiste.

D'un pas assuré, Acanthà est parti, laissant sa colocataire seule, qui sourit d'un air désabusé. Quelques minutes passent. Le grille-pain ne ronronne plus, les deux tartines ont sauté, indifférentes aux tensions. Iliana ne bouge pas. On sonne à la porte. Aucun mouvement. Trois petits coups de sonnettes de nouveau. Vifs et légers. C'est la mère de Acanthà. Les cinq fois où elle est venue voir sa fille, elle s'est signalée ainsi. Cinq fois. Mais là, Acanthà est enfermée dans sa chambre. Sûrement sur son balcon. Elle n'entend rien. Alors, lentement, Iliana se lève. Disparait un instant. Et revient. Une femme d'une d'une quarantaine d'années la suit. Elles s'assoient toutes les deux.