► Yahya Modjeska { the last cow-boy

Je me souviendrai toujours de cet homme, et de son cheval. Une magnifique pinto à la robe overo, noire et blanche. Une belle bête, parfaite, qu’on ne pouvait pas imaginer appartenir à un cow-boy. Je me suis souvent demandé si il l’avait achetée, volée ou trouvée. Jamais il n’a rien dit dessus. Comment un simple cow-boy pouvait se procurer une si belle bête ? Une beauté fatale musclée et puissante, un peu plus grande que la normale. Il ne lui avait pas donné de nom, alors on l’appelait La Pinto. Quand je dis « lui », je parle de White. Et quand je dis « on », je parle de moi et des autres cow-boys. On l’avait appelé comme ça, parce qu’il est blanc des pieds à la tête, malgré le soleil qui tape sur la terre du Texas. Plus blanc que la fille du propriétaire ! Il se détachait de nous tous. Quatre noirs, deux blancs aussi bronzés que la terre brune, un chinois, trois mexicains, deux amérindiens. Et White, son chapeau et La Pinto. Faut pas croire que les cow-boys, c’est des blancs-becs, la plupart sont des anciens esclaves ou des crève la faim. On est payé une misère. Un dollar de la journée. Pour un travail miteux.

White est arrivé au ranch un jour chaud. Ou plutôt, La Pinto est venue jusqu’à nous. Il avait les mains nouées dans le dos. Pas avec de la corde, non. Avec des chaînes, ça, c’était suspect. Et sur sa tête avait été mit un sac. Comme pour les prisonniers que l’on va pendre. D’après les élucubrations de Pedro, La Pinto se serait emballée et se serait enfuie, empêchant à ce pauvre homme sur son dos d’aller se faire pendre à un arbre. Ah, que serait un cow-boy sans son cheval. Mais ça ne l’a pas empêché de se prendre trois balles, White. Sa chemise était tachée de rouge, et on voyait nettement trois impacts. Dans l’épaule, le bras, le flanc. La Pinto s’était arrêtée à l’abreuvoir, dans l’écurie. White ne bougeait pas, on a cru qu’il était mort. On a appelé le gérant et la gérante, qui sont vite arrivés, ce n’est pas tous les jours qu’un cadavre vient jusqu’ici. Le patron a demandé à ce qu’on détache ce cadavre de La Pinto. La santiag de White était prise dans un étrier. Il avait donc été traîné sur le sol. Pendant combien de temps, on ne sait pas. Pas assez longtemps pour le tuer ! On avait déjà tous baissés notre chapeau, nous apprêtant à prier pour son salut, que cet increvable a demandé de l’eau. On a ôté le sac de sa tête et nous avons tous étés surpris par sa pâleur. Même ses cheveux semblaient blancs tant ils étaient clairs ! Ses yeux à demi ouverts regardaient dans le vague. Xia, avec son zèle habituel, partit chercher un seau qui servait à rationner les chevaux et le remplit d’eau venant de l’abreuvoir, avant de faire boire l’homme. Cette eau devait avoir un goût infect, tous les canassons y trempent leurs bouches aux dents gâtées, mais cela n’a pas semblé l’embêter, ce cadavre. Mais a peine avait-il fini de boire qu’il vomit tout. Le gérant conclut que c’était une insolation et demanda à ce qu’on le porte à l’ombre. Je me souviendrai toujours de White tendant sa main pour réclamer son chapeau, avec sa voix grave. « Mon Stetson, mon Stetson ! ». Ça nous a fait rire, et un peu moins quand on l’a ôté du pommeau de sa selle. Je ne sais pas d’où il sortait, mais il n’était certainement pas simple cow-boy, avec une si belle selle. Le pommeau était en argent sculpté d’un diable.

Par la suite, White a dormi deux jours d’affilée. Le gérant ne cessait de tourner en rond, et ses trois filles n’arrêtaient pas de piailler, se glissant derrière la maison pour regarder par la fenêtre de la pièce où on avait mit White. C’était un beau mec, y a pas à dire. Un mètre quatre-vingt ou plus, musclé comme un bison. Et les trois balles qu’il s’était reçu ne faisaient qu’augmenter son charme et le mystère autour de lui. Paraît qu’il n’a même pas bronché quand le médecin lui a ôté les trois ferrailles enfouies dans sa carcasse. Ah, en y repensant, j’entends de nouveau les cris et gloussements des filles du gérant, quand ce n’était pas ceux des dames de service. Un jour, par curiosité, je suis allé moi aussi, à la fenêtre. Par curiosité, je dis bien. White était là, couvertures repoussées jusqu’à sa taille, son Stetson en feutre noir sur le visage, bougeant toutes les cinq minutes pour tenter d’être plus à l’aise. Peut-être ses blessures les dérangeaient-elles, ou il était tellement habitué à dormir assis sur La Pinto qu’un vrai lit lui semblait peu douillet. Qu’importe, il constituait un agréable divertissement pour la population féminine du ranch. Je le trouvais un peu bête moi, avec son chapeau sur les yeux alors qu’il était à l’abri dans la maison des maîtres. C’est que plus tard que j’ai compris que le moindre rayon de soleil avait tendance à l’embêter. Toujours les yeux à demi clos sous les larges bords de son chapeau.

Après quelques jours, on le vit de nouveau sur pied. La première chose qu’il fit, c’est nettoyer son chapeau dans l’abreuvoir des chevaux. La seconde, c’est de brosser La Pinto. La troisième fut de décrasser sa selle. La quatrième, de nettoyer ses colts. Décidément, cet homme était bien loin d’être un cow-boy ordinaire. On est que trois, dans tous le groupe, à avoir une arme à feu, pour se défendre des attaques au cas où. C’est le patron qui nous les a fournies. Et lui, il en avait deux ! Toute l’équipe prit en grippe White. Il parlait pas, mangeait à part, travaillait seul et on lui trouvait l’air arrogant. Le patron avait fini par l’embaucher. Paraît que White n’avait plus nulle part où aller, était fauché et avait donc demandé à être prit ici, pour au moins nous remercier de notre aide. Le gérant l’avait prit à la bonne. Certainement sa peau blanche et son air aristocratique qui séduisait toute la jolie famille. En plus, White était doué pour tout. Lors de la transhumance, il nous a prouvé ses talents. La transhumance, c’est quand on doit déplacer les bêtes d’un point à l’autre. Certains pensaient que c’était juste une espèce d’hurluberlu qui se disait cow-boy juste pour avoir du boulot. Sa peau blanche faisait plus penser à un prince ou à autre chose de noble. Mais pas à un vacher. Quand il a fallu marquer les bêtes, White s’est montré fort, tout comme La Pinto. Musclée comme pas possible la jument, et on comprend pourquoi. Aucun répit. J’avais eu le temps d’attraper que cinq bêtes qu’il en était déjà à son quinzième marquage. Il maniait le lasso avec autant d’aisance qu’une fille facile lève son jupon ou qu’un minier finit son verre de whisky. On avait honte, à côté de lui. Il était pas humain, ce mec.

Notre voyage nous emmenait jusqu’à Dodge City, dans le Kansas. Ça fait une trotte, du Texas au Kansas, surtout avec un troupeau énorme de bêtes. Trois mille têtes ! White était du voyage, et se contentait de la place la moins enviée. Celle d’être tout derrière, pour surveiller que le troupeau ne se disperse pas. Mais lors d’un orage, un terrible orage, on perdit Larry, notre meneur. C’est lui qui savait par où on devait passer. Et encore une fois, ce blanc-bec fit étalage de ses facultés. On aurait dit qu’il connaissait chaque brin d’herbe de la Plaine. La transhumance se déroula sans trop de problèmes, grâce à lui. Quand on est arrivés à destination, moi et les autres, on a dépensé toute notre paye dans les saloons. Lui, il a disparu, avec La Pinto, son Stetson, ses colts et sa peau blanche. Je ne l’ai plus jamais croisé, et je n’en ai plus jamais entendu parler. Je m’étais aussi renseigné auprès du Shérif pour savoir si un avis de recherche n’avait pas été lancé sur un jeune blanc-bec. Comme White était arrivé habillé en futur pendu, je me doutais qu’il y avait quelque chose de pas net sous tout ça. J’aurais préféré ne jamais savoir ce que White avait fait.

Quand je l’ai rencontré, il m’a dit ne pas avoir de prénom. Alors, je l’avais nommé Snow, en référence à sa peau blanche et ses cheveux d’un blond plus clair que les rayons du soleil. Je l’avais rencontré quelques années auparavant, dans un saloon. J’étais simple danseuse à l’époque. La plus belle. On venait de partout pour me voir chanter. Lui, il m’a directement plu. Son air détaché de tout, son air boudeur. A la fin de mon spectacle, je me suis assise à sa table, prétextant qu’il n’y avait pas de place ailleurs. Certes, j’aurais pu, comme chaque soir, m’asseoir sur les genoux d’un de ces hommes éméchés. Mais là, je n’avais pas envie. A part si c’était les siens. Tous les hommes sifflaient sur mon passage, mais lui ne fit rien. De la timidité, ou il n’en avait rien à faire ? J’ai engagé la conversation, mais cela n’accrochait pas. Il répondait par oui, par non, vaguement et parfois pas du tout. Alors j’ai saisi sa main et j’en ai léché un doigt. Le message était assez clair, vu sa tête. Je n’ai jamais vu un homme rougir si vite ! Ce n’est que plus tard que j’ai apprit qu’il était encore inexpérimenté, avec les femmes. Il n’avait que dix-sept ans. Surprenant tout de même pour un cow-boy ! J’ai dû lui faire peur ce soir-là. Il m’a repoussé, est tombé de sa chaise, s’est cogné sur le sol, n’a même pas bronché. Il y avait tant de bruit que personne n’a rien entendu. Je l’ai aidé à se relever. La peau de ses mains était calleuse, je ne m’y attendais pas. Avec une peau si pâle… Peut-être une maladie, je ne sais pas. Quand il sortait, c’était toujours très couvert, Snow avait tendance à prendre des coup de soleil, sans que jamais ne se tanne par la suite. A la suite de cette cocasse rencontre, nous nous sommes croisés de nombreuses fois. Les rôles étaient inversés. Je le courtisai, il me résistait. Jusqu’à ce qu’un homme me fasse du gringue ouvertement, alors qu’il était assis au bar du saloon. C’était habituel, alors je m’amusais un peu. C’est si bon de se sentir désirée. Snow, il l’a mal prit. Je l’ai vu se lever, et foutre un coup de poing dans la tête de l’inconnu. J’ai crié, surprise. Je ne m’attendais pas à ce qu’il frappe si fort. L’homme s’est écroulé sur le sol, complètement sonné. Et avec sa voix grave, Snow ma dit « Pardon, c’est parti tout seul. ». Je m’en souviens encore, de sa voix. Qu’est-ce qu’elle était belle, sa voix. Grave, austère. A faire trembler les ours. Moi, je lui ai sauté dessus. C’était le bon moment, et comment lui résister.

Ce n’est que plus tard que j’ai compris comment il s’était procuré cette merveilleuse selle, ses colts et son chapeau hors de prix. J’ai compris pourquoi il se cachait quand il croisait le Shérif ou le Marshall. Entre temps, nous nous étions mariés, et avons eu deux filles. Olathe et Wiona. Ce sont des prénoms amérindiens, je m’étais opposé à ce choix, mais il a insisté. C’est tellement rare qu’il résiste que j’ai finalement cédé. Le plus souvent, Snow se contentait de rabaisser un peu son Stetson et murmurait que je n’avais qu’à faire comme je voulais. Au début, quand il partait pendant plusieurs jours, parfois plusieurs mois, je croyais que c’était pour travailler. Honnêtement. Réparer une clôture, ou faire son métier de vacher… c’était un homme très secret, qui ne disait jamais où il allait et ce qu’il faisait. Je me souviens qu’avant de partir, il nettoyait à chaque fois ses deux colts et s’entraînait à tirer. Jamais il ne ratait sa cible. Je ne lisais pas les journaux. Je ne savais pas lire. Mais on me rapportait souvent que des trains se faisaient attaquer, tout comme des diligences, des hôtels, des banques, des troupeaux. Je n’aurais jamais pensé pourtant que Snow, si calme, si doux, y participe. Je ne l’ai su que quand trois hommes frappèrent à ma porte. Trois militaires. Qui cherchaient mon mari. Je ne savais pas où il était, et devant mon air ébahi, ils n’avaient d’autres choix que de me croire. Cet incident fit vite le tour de la ville, et on vint toquer à ma porte une bonne dizaine de fois dans l’après-midi pour avoir plus de renseignement. Mais je n’ouvris à personne, trop chamboulée. Snow, un bandit ?

Il n’était pas au courant qu’on l’avait découvert, et revint, quelques semaines plus tard, parmi nous. Je lui ai dit de partir, de vite s’enfuir, mais il n’a pas voulu nous laisser seules, moi et les filles. Olathe et Wiona subissaient des brimades, étaient mises à l’écart, et moi je n’avais plus le droit d’aller à l’épicerie ou ailleurs. Toute la ville se méfiait. En arrivant, Snow avait traversé toute la ville. Tous étaient au courant de son retour. Nous n’avons pas eu le temps de réunir de quoi voyager que le Shérif fit irruption chez nous. On l’enchaîna. Oui, enchaîna. Parce que tous avaient peur de sa force. Mieux valait ne pas le sous-estimer de ce côté-là. On m’attrapa, avec nos deux enfants, terrorisées et sans aucune sorte de procès, on nous conduit vers un arbre, en bordure de la ville. L’arbre aux pendus. Déjà des vautours tournoyaient dans le ciel. On avait mit un sac sur le visage de Snow, et ont l’avait juché sur son cheval. Je n’ai pas hésité, je n’avais pas le temps d’hésiter. J’ai hurlé en tapant sur la croupe de la jument, qui, effrayée, s’est sauvée. C’était celle de Snow. Jamais elle ne l’abandonnerait. Quelques hommes dégainèrent et lui tirèrent dessus, mais le nuage de poussière soulevée par les sabots du cheval le masqua. Le temps qu’ils montent en selle, il était déjà loin. Je me souviens encore que Snow criait mon prénom. « Annie, Annie ! ». Je criai son prénom aussi. Mais un coup de feu me fit taire. J’eus juste le temps d’entendre une dernière fois Snow qui criait mon prénom, avant de mourir. Ce cri fut celui du désespoir. Il savait. Mais qu’importe, au moins, il était sauvé. Celui que j’aimais.

De nom, il n’en a jamais eu. Il est né dans les bas-fond d’une ville dont il a oublié le nom, ou n’a pas voulu me le dire, par honte. Une ville de miniers, m’a-t-il dit. L’union d’un bandit et d’une fieffée tireuse. Il semble très fier d’être aussi bon qu’elle, ou presque. Même si elle ne lui a jamais donné de prénom, à part Honky. Il ne me serait jamais venu dans l’idée d’appeler mon fils Honky. C’était en référence à son teint blafard, je me doute. Une maladie ou un truc de ce genre. Une bénédiction ou une malédiction. Il a apprit à tirer, boire et voler avec son père. Il a été élevé par tous, c’était sa voie de devenir un grand comme son paternel. Les fils de banquiers deviennent banquiers, les fils de trappeur deviennent trappeurs. Les chiens ne font pas les chats. Quand il m’a dit ça, ses larmes ont coulées le long de ses joues d’albâtre, se mêlant à son sang, qu’il crachait à chaque mot. Peut-être qu’il aurait préféré être banquier ou trappeur. Il paniquait, et entait de fuir sa peur en parlant. Devant la mort, on ne reste jamais neutre. Surtout aussi jeune. Il devait avoir une trentaine d’années, pas plus. Un flocon de neige fond rapidement sous le soleil de l’Ouest, aussi beau soit-il. C’est ainsi. Même quand on est fils de hors-la-loi, qu’on manie le lasso et le colt comme un pro. Et cette mort, il la recherchait. Il ne me l’a pas dit, mais ce n’était pas difficile à savoir. Revenir dans la ville dont on s’est enfui, colt à la main, juché sur son cheval, en plein jour. Soit on est fou, soit on est increvable. Un moment, j’ai cru qu’il était fou. Puis j’ai penché pour l’increvable. Mais il n’était ni l’un, ni l’autre, finalement. Ce mec, c’était juste un cow-boy. Jusqu’au bout, il l’a été, à défendre sa cause. Pour un salaire de misère. Quelques balles et des insultes.

Il était revenu dans cette ville, rien que pour se venger. Pour en tuer un maximum. Je ne sais pas ce que ça fait de perdre sa femme et ses enfants. Les miens, ils sont en sécurité et le seront toujours. Les siens aussi, d’ailleurs. Femme au Paradis - ou en Enfer, Dieu est parfois si cruel -, enfants en orphelinat, loin de cette ville de bois pourri. La vengeance, c’est un sentiment humain. Exécuter sa vengeance, c’est héroïque. Même quand on fait des morts, qu’on répand le sang et l’horreur. Combien de couards se seraient contentés de médire dans leur coin, de ruminer comme des vaches leur mécontentement. J’ai tenté de lui faire comprendre qu’il n’aurait pas dû faire cela, que si sa femme était morte, c’était pour le sauver. Parce que même si je respectais sa vengeance, je ne pouvais l’admirer sous le regard de mes hommes. Imaginez un général dire à un bandit qu’il comprend ce qu’il a fait, devant le reste de sa garnison ! Il m’a sourit, et m’a dit qu’elle l’avait juste sauvé pour qu’il vienne la venger plus tard. Si il était resté à ses côtés, ils seraient tous deux encore à se balancer aux branches d’un arbre, un sac sur la tête. Mais un cow-boy, ça crève son chapeau sur la tête, les pieds dans ses éperons. Pas avec un sac sur le visage et les pieds dans le vide.

A peine avait-il fait irruption dans la ville qu’il a abattu deux hommes, m’ont raconté plus tard les villageois. Puis il a tiré sur une femme qui s’enfuyait. Alors ils ont saisi leur fusil, et ce vacher a lancé sa bête à toute allure, passant par ci et par là, insaisissable, tuant sur son passage. Quand ses colts furent vides, il saisit, son lasso, attrapa un homme et le traîna sur plusieurs mètres, la corde autour du cou. Il est mort. C’est à ce moment que nous sommes arrivés. Je ne passais pas loin, avec ma cavalerie, et en entendant ces coups de feu, en pleine journée, nous nous sommes approchés, alertés. Nous l’avons vite mis hors état de nuire. Je n’ai jamais vu homme plus résistant. Il a fallu abattre son cheval, qui en tombant, a coincé une jambe de cet énergumène sous ses flancs. Je n’ai pas compté le nombre de balles qu’il s’était déjà prit. Et même blessé et à terre, il restait à cheval, ses jambes accrochant les flanc de sa bête morte. A croire qu’il était fixé sur lui. Nous l’avons approché. Il ne se débattait pas, se vidant de son sang. Même ainsi, il était beau. Ah, comment oublier cette scène. Son chapeau était tombé, dévoilant ses cheveux sans couleur. Et lui a crié « Mon Stetson ! », comme si c’était un bras qu’il venait de perdre. Je l’ai remis sur sa tête, nous l’avons dégagé du cheval. On ne pouvait pas le transporter, cela ne servirait à rien. En trop mauvais état. Une balle avait transpercé sa gorge. Mes hommes sont partis s’occuper de la population, et je suis resté seul avec lui. Comment un individu à l’apparence si angélique pouvait être un bandit ? Je l’ai forcé à me raconter son histoire. Et lui m’a tout livré, comme si j’étais un prêtre auquel il se confiait. Il m’a tout dit, ses mensonges d’enfant, ses années de banditisme, le meurtre de sa femme, ses années de vagabondage. Il devait avoir une trentaine d’années, pas plus. Les hors-la-loi ne vivent jamais très longtemps, surtout quand ils sont faits de neige. Je me souviens qu’il a pleuré. Qu’il s’est agrippé à moi. Qu’il m’a demandé d’être enterré avec son cheval, et auprès de sa femme.

Ce que nous avons fait. Sa femme avait été enterrée dans le cimetière de la ville. Elle avait une jolie pierre tombale. Peut-être étais-ce la façon des villageois de tenter de se faire pardonner de l’avoir tuée, alors qu’elle avait juste tenté de protéger ceux qu’elle aimait. Ce fut difficile d’enterrer sa jument avec lui, mais nous y arrivâmes. Beaucoup ne comprenaient pas pourquoi je m’échinais à respecter le dernier vœu d’un homme recherché, qui avait tué et pillé. Mais je ne respectais pas un bandit, mais un homme qui toute sa vie, s’était battu pour avoir une vie meilleure. Ce n’était pas sa faute si il était devenu bandit. Sa famille, on ne la choisit pas. Et ici, on n’a pas beaucoup de choix d’avenir.

Je déposai sur la croix de bois qui lui servait de pierre tombale ses éperons, sa croix chrétienne et son Stetson.

When I was a... A Living dead ?

Prologue - Dieu est miséricordieux.


Dieu s’est bien fait pardonner. Il a rendu au cow-boy d’autrefois un cheval, un Stetson. Pas une femme, mais peut-être que cela viendra. Mais Dieu prit la liberté de moderniser un peu tout cela. Pour cheval, il lui donna une moto, et peut-être n’aimait-il pas les Stetson, car il condamna le ressuscité à porter plus souvent un casque qu’un chapeau à large bord, pour ne pas se faire mal sur son nouveau cheval. Mais Dieu oublia de lui apprendre comment fonctionnait un lave-vaisselle, un ordinateur, à quoi servaient les feux à chaque coin de rue et que dans ce monde, il est important de savoir lire et écrire. En fait, Dieu, il l’a baisé une seconde fois, le pauvre vacher. Parce que de ce monde, il ne connaît rien. Mais au moins, il a à présent un nom et un prénom. Yahya Modjeska. Cela change de Honky, Snow ou White. Surtout qu’à présent, il est brun, la peau légèrement dorée, et un peu plus petit qu’avant, avec son mètre septante cinq.



Zadig - J'ai assisté à un miracle ?


Il avait raté son saut. Plusieurs fois champion de Freestyle MotoCross, personne ne s’y attendait. J’étais dans l’équipe des secouristes. On l’a tous vu retomber. Mal retomber. De loin, j’ai pu voir son cou qui se brisait. Il avait une minerve, comme tous ceux qui participent, mais là, ça n’a pas suffit. On s’est approchés en courant, sous le regard médusé des spectateurs. Il était encore en vie à ce moment là, mais est mort lors du transport vers l’hôpital. Je sais qu’il est mort, puisque c’est moi-même qui ai diagnostiqué cette mort. On a tenté de faire repartir son coeur, sans succès. Quatre fois de suite. Je ne pouvais le laisser partir. Je suis fan de MotoCross depuis tout petit, et voir mourir une figure emblématique comme ça, d’un coup, entre mes mains, c’est le rêve d’un enfant qui s’évapore. Même les êtres que l’on croit intouchable ont une fin. Je savais tout de lui. Polonais de naissance, il était venu jusqu’ici pour participer à un tournoi. Je l’ai baffé, je l’ai secoué, j’ai tout fait pour tenter de le faire revenir. Mais son cou s’était brisé, son cerveau n’était plus alimenté, c’était fini. Ou pas. Je ne sais pas comment cela se fait. Des morts qui reviennent à la vie, j’en ai déjà entendu parler. Mais d’un point de vue médical, c’est impossible, avec les cervicales brisées, de se relever. Le cœur s’était arrêté, et déjà son corps se raidissait.

Et le lendemain matin, il n’était plus là. Le tant que le médecin légiste aille boire un café, il avait disparu. On a questionné les infirmières de service, et celle qui était à l’accueil nous a dit voir un homme, habillé en motard, quitter le bâtiment en courant, l’air hagard. Un cadavre qui marche ? Comme tout devenait de plus en plus mystérieux, on a sorti les vidéos de surveillance. On a vu le médecin légiste regarder le corps, puis partir boire son café. On a vu le cadavre remuer, passer la main dans ses cheveux, se redresser, regarder ses mains, ses vêtements, se lever, tourner en rond. Je ne sais pas qui était le plus choqué. Le motard qui venait de revenir à la vie ou nous, qui visionnons la cassette. Puis notre champion quitta la morgue. Quelques minutes plus tard, le médecin revenait, et contempla sa table vide, où se trouvait peu de temps avant un corps devenu froid. On a suivi sont trajet au travers de l’hôpital. Le zombie à ouvert toutes les portes, regardait, repartait, puis traversa le hall en courant, disparaissant dans la nuit noire du dehors. C’était embêtant de dire à la famille que le corps avait retrouvé vie et était parti, quand elle est venue le lendemain. On leur a montré la vidéo, ils ont cru à un canular. Yahya ne devait pas être en très bon terme avec sa famille, car elle ne lança pas d’avis de recherche. Je me demande vraiment ce qu’il est devenu. Nous n’avons montré la vidéo à personne d’autre, de peur que l’on perde notre clientèle. Le chef de notre service a conclu que nos appareils avaient eu un dysfonctionnement et n'avaient pas pu détecter qu'il était encore en vie, mais je n'y crois pas trop. Finalement, le gouvernement à beau le démentir, je crois bien que la magie existe.

Poppy - Entre paumés, on doit s'entraider.


Ce gamin ! Il claudiquait dans les rues, habillé tout en jaune. J’étais ivre ce soir là, et je l’ai appelé pour lui demander si il ne savait pas où se trouvait le poste de police le plus proche. J’ai tendance à faire le con devant, comme ça, les flics de garde m’arrêtent et je passe une nuit au chaud dans leurs locaux ! Un jour, je finirai en prison. Mais quand on est une junkie qui n’a même pas de quoi se droguer, on se débrouille comme on peut. Il a été si surpris qu’il a crié, a trébuché et est tombé. Je ne comprenais pas grand-chose à ce qu’il baragouinait. Un étranger, c’est ce que je m’étais dit en premier lieu. Avec ce petit accent nasillard, comme quand on caricature les texans. J’ai ri, et je me suis approchée de lui. Bon sang, qu’il était beau. Encore qu’un gamin, mais d’une beauté ! On aurait cru un ange. Évidemment, il fallait faire abstraction de ses vêtements bizarres, de la ruelle sombre et miteuse où l’on se trouvait. Je l’ai approché et je lui ai tendu une main. Entre paumés, faut bien s’entraider, et il avait l’air de l’être pas mal, à regarder à droite, à gauche. Finalement, on a passé la nuit dans un squat. J’ai dû le porter à moitié jusque là-bas. Je n’ai pas osé me trémousser devant les flics, je doutais qu’il ait des papiers, ce gars. Il semblait s’être vite attachée à moi, je devais être son seul point de repère. Je lui ai fait une soufflette. Et je peux vous dire que la drogue, cela ne le réussit pas. Il est tombé en arrière et s’est mit à ronfler. On en a profité pour lui faire les poches. Il n’y avait rien, à part un passeport et un trousseau de clefs. On lui a enlevé sa veste, ses chaussures, et on s’est barrés. Je suis revenue deux jours plus tard, et il était toujours là, n’avait pas bougé. On pensait qu’il serait parti se plaindre au commissariat… Mais non. Et il dormait encore. Je ne sais pas si il s’est réveillé entre temps, mais il était toujours là, Yahya. Un de ces prénoms, quand même. Yahya. Mais ça lui allait bien. Je l’ai poussé avec mon pied, il n’a pas bronché. Je lui ai tiré les cheveux, mit les doigts dans le nez, et d’un geste il me plaqua au sol. J’ai ri, lui disant qu’il n’avait pas à s’en faire. Et là, je l’ai embrassé. Il était trop mignon, avec son regard effrayé. Ça n’a pas dû lui plaire, peut-être qu’il est gay, mais Yahya s’est éloigné. Un cas social, ce gars, les psy se l’arracheraient. J’avais revenu sa veste, mais pas ses chaussures, que j’avais encore dans mon sac. Je lui ai dit d’ôter son pantalon, il a refusé. Alors je l’ai un peu aidé. Ce fut difficile. Ce mec, il est insaisissable. Vexée, je suis sortie. Quand je suis revenue, je lui avais trouvé un autre pantalon, et il dormait. Quand il dort, ne cherchez pas, on ne peut pas le réveiller. J’ai réussi à lui ôter son pantalon bizarre sans qu’il ne se réveille et j’ai laissé l’autre à ses côtés. Puis je suis ressortie revendre l’autre. Il y a des gens bizarres, je vous jure. Quand je suis entrée, il avait mit le pantalon, et se tenait prostré dans un coin. Le regard qu’il ma jeté à ce moment là. Genre gamin pas content. Je lui ai lancé ses chaussures à la tête, il ne méritait que ça. Mais Yahya les as attrapées au vol, aisément. Il n’est pas humain, je vous dis.

Depuis que je l’ai trouvé, je l’ai plus quitté. Ou plutôt, il ne m’a plus quitté. Mais c’est bien d’avoir un homme fort à ses côtés qui guette les parages quand vous allez pisser entre deux buissons. Et un homme qui gagne de l’argent, aussi. Comme il est plutôt fort, je me suis dit qu’il pouvait faire quelques combats de rues. Mais après quelques victoires, on l’accepta plus, parce qu’il était trop fort. Mon Yahya, c’est le plus fort. Il vous décroche un coup dans la poire sans que vous n’ayez le temps de voir quoi que ce soit. Il y a le propriétaire d’une grosse boîte de nuit qui l’a alors remarqué, et lui a donné du boulot en tant que videur. Yahya ne savait pas ce que cela voulait dire. Il connaît rien, il est bête. Enfin bref, il ne l’a pas eu ce boulot, parce qu’il ne savait pas ce qu’était une tenue correcte ou pas. En même temps, nous ne sommes que des déchets, nous. Comme on trouvait plus rien d’intéressant dans cette ville – surtout moi, lui restait béat devant un néon clignotant -, on est partis à pied vers l’ailleurs. A la sortie de la ville, il y a un centre équestre, qu’on a dû longer. Ce fut notre salut. Quand Yahya vit les chevaux, ils e mit à siffler, et les bêtes arrivèrent vers lui. Il passa par-dessus la clôture, chuchota un truc à l’oreille d’un des canassons et monta sur son dos. Le remake de l’homme qui parlait à l’oreille des chevaux. Il m’a dit de venir, mais je n’ai pas voulu. Je ne suis jamais montée à cheval, et ça me fait un peu peur. Mais le voir si confiant, si à l’aise… J’ai cédé, je suis passée moi aussi par-dessus l’enclos. Avec une aisance surnaturelle, il est redescendu du cheval qui ne bronchait pas et m’a aidée à monter dessus. Je tremblais, et il a dû le sentir, parce qu’il est monté derrière moi, et m’a montré comment me tenir. C’est là que la gérante est arrivée vers nous, l’air furax. Je suis descendu directement du cheval. Ou plutôt, je suis tombée, mais Yahya est resté perché sur le dos de la bête. Elle avait l’air vraiment en colère, et cet abruti soutenait son regard. Pas comme d’habitude. Il semblait plus fort, plus fier. La dame a hurlé, et lui l’a regardé de haut. Je me suis excusée pour lui, et le voilà le cheval qui s’en allait au petit trot. Yahya n’avait fait aucun geste, avait juste fait claquer sa langue. Ça l’a impressionnée, la gérante. Mais pas assez pour qu’elle arrête de crier. Et là, il a osé ouvrir sa grande gueule. « Elle coûte combien ? ». Il parlait bien du cheval, oui oui ! On avait pas de quoi se payer un billet de train et il voulait acheter un cheval. Je n’y crois toujours pas. La gérante a annoncé le prix et il est resté songeur. Et avec un grand sourire, il a de nouveau ouvert son immense gueule. Je préfère quand il la ferme. Il ne dit que des bêtises. « Je n’ai pas une telle somme. Mais je travaillerai jusqu’à ce que j’aie assez. ». Son sourire charmeur a fait dérailler la vieille. Ou sa façon de descendre de cheval, je ne sais pas. Il a baissé les yeux sur sa monture, qui a pliée les pattes pour qu’il descende plus facilement. Le coup de foudre entre une jument et Yahya, si je m’y attendais. Jalouse ? Pas du tout. Enfin bref, c’est ainsi qu’on a trouvé du boulot. C’est rare les gens qui veulent bien s’occuper de chevaux. C’est que ça demande du temps et de l’énergie. Faut les sortir tous les jours, ça vous bouffe votre vie sociale. Mais cela semble plaire à Yahya. Et la gérante est contente de lui. De moi, un peu moins, mais j’ai pas confiance en ses bêtes. Mais ce n’est pas fini. Vous trouvez normal, un mec qui sait si bien s’y prendre avec les chevaux ? Eh bien, mon Yahya à moi, il s’y prend aussi très bien avec les oiseaux, les papillons et les poissons. Mon Yahya, il leur parle.



Maria - Comme un ange tombé du ciel.


La première fois que je l’ai croisé, je l’ai juste prit pour un de ses vauriens qui ont parfois la mauvaise idée d’entrer dans l’enclos de mes chevaux pour tenter de faire des acrobaties dessus. J’ai eu souvent des accidents de ce genre. La plupart du temps, ils tombent. Alors quand je les ais vu, eux deux, juchés sur le dos de l’un de mes chevaux, je suis allé directement les voir. Oh, si à ce moment j’avais su que je ferais de ce gamin un dresseur de cheval reconnu mondialement… Il est doué. Même ce mot ne suffit pas. Il est sans équivalent. A présent, on me confie des chevaux qui participent aux plus grandes courses pour les bichonner. Yahya, c’est mon ange gardien. Depuis quelques années, je perdais de l’argent. C’est que des chevaux, ça coûte cher. Et grâce à lui, tout repars de plus belle. Les terres vierges environnantes font un merveilleux terrain d’entraînement. Yahya refuse de participer à des concours, mais si il le faisait, je suis certaine qu’il les gagnerait tous. Mais il me dit que sa mission est autre. Je ne sais pas trop de quoi il parle. C’est quelqu’un de très secret, qui semble venir d’un autre monde. D’un monde où on aime les chevaux, en tout cas. Pour son vingt-quatrième anniversaire, je lui ai offert un Stetson. Je n’ai jamais vu quelqu’un crier aussi fort en recevant un chapeau.